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Billet de blog 6 mai 2018

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6 Mai 68: « Libérez nos camarades »

N°43 de ma série "1968". Afflux de manifestants et escalade toute la journée aux cris de « Libérez nos camarades ». 600 étudiants et plus de 300 policiers blessés à Paris. Et le mouvement s'étend en province. Prochain article: 7 mai 68: L'Assemblée nationale, l’Elysée ? Du théâtre, du cinéma !

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6 Mai 2018

C’est l’escalade, une grande manifestation de solidarité avec les arrêtés du 3 mai, malgré une interdiction préfectorale et la clôture des universités. Le matin, huit étudiants de Nanterre, dont Daniel Cohn-Bendit et René Riesel comparaissent devant le Conseil de discipline. Les professeurs de Nanterre Henri Lefebvre, Guy Michaud, Alain Touraine et Paul Ricœur les accompagnent en soutien. 

Illustration 1

Un cortège de milliers de personne se rend à la Halle-aux-Vins puis revient vers le Quartier latin après passage sur la rive droite. La police charge rue des Ecoles. Les manifestants résistent, avec ardeur décuplée à l’annonce de peines de prison pour les manifestants. Des affrontements scandés de « Libérez nos camarades » ont lieu sur le boulevard Saint-Michel avec la police. Premiers heurts violents au carrefour St Germain à 15 h. Les manifestants, au nombre de plus de 1500 dès 16 h, empêchent les flics d’avancer, et font reculer deux auto-pompes. Un manifestant est monté sur l’une et l’empêche de diriger le canon à eau. Pavés et des heures d’affrontements par petits groupes très mobiles. 

L’UNEF, le 22 Mars et les CAL ont appelé au rassemblement dans le quartier latin au matin mais aussi à manifester à 18 h 30, depuis Denfert-Rochereau. On peut voir ici le tract d’appel de la JCR. Au retour, la manifestation est affrontée par la police à hauteur de la rue du Four. Pavés puis barricades. Plus de 10 000 manifestants en début de soirée contre l’Etat policier. Les forces de police abandonnent les charges directes pour une lutte de positions, à coup de grenades et de gaz lacrymogènes. 

Illustration 2

On lira dans Le Monde lendemain, daté du 8mai: « Ce qui va succéder, va dépasser en violence et en ampleur tout ce qui s’est produit durant cette journée déjà surprenante à tous égards. Ce sera une sorte de combat de rue atteignant parfois une sorte de frénésie, où chaque coup porté est aussitôt rendu, où le terrain à peine conquis est déjà repris… Moments dramatiques et déraisonnables durant lesquels, pour l’observateur, semblait souffler un vent de folie.» 

L’Aurore, du 7 mai, note de son côté: «On aperçoit aux côtés des manifestants des bandes de blousons noirs, armés de barres de fer, qui sont descendus des portes de Paris pour prêter main-forte aux étudiants.» Les derniers affrontements continuèrent après minuit, surtout à Montparnasse. La soirée se termine avec une estimation de 600 étudiants et 300 policiers blessés et 422 interpellations.

La grève touche les facultés, à 95 % les grandes écoles et déjà 7 lycées. Le proviseur de Michelet manifeste même en tête de ses élèves. Ce jour est marqué par l’intervention dans la lutte des ouvriers, jeunes chômeurs et surtout lycéens qui avaient organisé dès le matin à l’appel des CAL d’importantes manifestations.

Le président du SNEsup, Alain Geismar, décide de soutenir les manifestants. Le Parti communiste marxiste-léniniste de France (PCMLF ) publie un tract, ponctué de citations de Mao Zedong, appelant à soutenir la « juste lutte des étudiants » et appelant à « l'union des étudiants et des travailleurs pour un pouvoir populaire révolutionnaire ». Les autres maoïstes, membres de l'UJC(ml), derrière Robert Linhart, sont pris de court.  Pour eux, la révolution est censée venir des ouvriers, et non des étudiants. Ils caractérisent les revendications du Mouvement du 22 Mars comme« puériles », « petit-bourgeoises » et « gauchistes ». La FER (OCI) prêche aux étudiants qui tiennent les barricades qu'ils devaient s'en remettre « aux travailleurs et aux organisations du mouvement ouvrier » pour libérer la Sorbonne, cesser leur « aventurisme petit-bourgeois » et rentrer chez eux…Les mêmes recommenceront le 10 mai. 

Illustration 3

Tout comme le PCF, la CGT fait feu sur le mouvement. Georges Séguy, dans sa conférence de presse le lendemain matin explosera: « Cohn-Bendit, qui est-ce ? Sans doute faites-vous allusion à ce mouvement lancé à grand renfort de publicité qui, à nos yeux, n'a pas d'autre objectif que d'entraîner la classe ouvrière dans des aventures en s'appuyant sur le mouvement des étudiants … Aucune complaisance envers les éléments troubles et provocateurs qui dénigrent la classe ouvrière, l’accusant d’être embourgeoisée, et ont l’outrancière prétention de venir lui inculquer la théorie révolutionnaire et diriger son combat. Avec d’autres gauchistes, des éléments s’emploient à vider le syndicalisme étudiant de son contenu revendicatif, démocratique et de masse au préjudice de l’UNEF. Mais ils agissent à la satisfaction du pouvoir…». Rappelons que l’UEC, suite aux exclusions de sa gauche prononcées en 1966, a perdu le contrôle du grand syndicat étudiant en 1967. Sa direction est désormais PSU. 

Le fait politique essentiel de la journée, c’est que la base des organisations traditionnelles de gauche commence à dépasser ses dirigeants. Les témoignages dans ce sens abondent. Rioux et Backmann dans leur ouvrage L’explosion de Mai citent par exemple le cas d’un responsable des Jeunesses communistes (JC) de la banlieue qui dit avoir « un mal fou à retenir les copains, ils étaient déchaînés. Une simple autorisation du parti, et ils se seraient précipités au Quartier latin. L’autorisation n’est pas venue ; quelques camarades... sont allés manifester en cachette ». Ils citent également le cas d’un responsable syndical CGT qui constate la tension des camarades communistes et les « véritables crises d’absentéisme » qu’on observe parmi les jeunes militants de l’usine les jours de manifestation. Ils citent aussi, toujours pour cette journée du 6 mai, le cas de trente travailleurs de l’équipe du soir d’Hispano-Suiza (métallurgie, Colombes, dans le 92) qui débrayent pour aller au Quartier latin. Certains proposent même d’y aller avec le drapeau de la CGT…Les bureaucrates commencent à comprendre leur erreur: après le SNES, l’Union des syndicats CGT de Paris « condamne énergiquement les provocations gouvernementales et les brutalités policières à l’encontre des étudiants, s’ajoutant à l‘inadmissible fermeture des facultés et à l’intrusion des forces de police à l’intérieur de la Sorbonne. »

Dans le même temps en province…

  • Grenoble: 1500 manifestants, une dizaine de blessés, un meeting sur le campus, une manifestation à 18 h, agitation de groupes fascistes. 
  • Brest: manifestation de soutien le jour même.
  • Toulouse: Intervention de la police à la demande du recteur, occupation massive de la Fac, heurts violents avec les flics, grève 100 % en Lettres, une manifestation prévue pour le lendemain. Voir dans la présente série: 25 avril 68: le mouvement prend son envol à Toulouse.
  • Strasbourg: 1000 manifestants; grève totale, piquet d'explication, prochaine AG décidera suite action. 
  • Dijon: grève générale 95 % en Lettres Droit, 80 % en Sciences, mais plusieurs centaines d'étudiants « modérés », c’est à dire les gaullistes et fascistes qui s’allieront de plus en plus étroitement, défilent aux cris de slogans anticommunistes ou contre le mouvement étudiant, comme par exemple« Pas de Nanterre à Dijon »…
  • Rennes: 2 000 manifestants, grève générale le mercredi. 
  • Lyon : 3000 participants à un meeting Sciences appliquées, manifestations prévues pour le lendemain avec participation Rhodiaceta. 
  • Clermond- Ferrand: grève totale. 
  • Bordeaux: grève le lendemain. 
  • Orléans:  400 manifestants. 
  • Nancy: un meeting d'explication , pas de grève. 
  • Besançon: pas de cours, explications dans les amphis, meeting lundi. 
  • Metz: grève mardi. 
  • Marseille: heurts violents. 
  • Aix: grève en Droit. 
  • Poitiers: grève à 90 %, meeting. 
  • Lille: meeting.
  • Caen: occupation de l'institut de sociologie de l'université pour l'obtention d'un second cycle.

Le même jour…

  • Manifestations de solidarité avec les étudiants parisiens à Berlin, Francfort et Liège. 
  • L’imprimeur du journal étudiant milanais « La Zanzara » est condamné à 8 mois de prison pour « outrage ». A l’occasion du procès pour une enquête sur la sexualité juvénile, il avait écrit une lettre indignée au procureur de la République.

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50 ans plus tard

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Articles déjà publiés dans ma série « 1968 »

  1. 5 Janvier 68: Dubcek accède au pouvoir en Tchécoslovaquie
  2. "Eh bien non, nous n'allons pas enterrer Mai 68", par A. Krivine et A. Cyroulnik
  3. 26 Janvier 68: Caen prend les devants
  4. 27 janvier 68: les lycéens font collection de képis de policiers
  5. 29 Janvier 68: Fidel écarte les dirigeants pro-soviétiques
  6. 31 janvier 68: Vietnam, l’offensive d’un peuple héroïque
  7. Mai 2018 : sous les pavés la rage, par Jacques Chastaing
  8. Mai 68 vu des Suds
  9. 6 Février 68: grand Charles et grand cirque à Grenoble
  10. 14 février 68: combat pour le cinéma
  11. 17-18 Février 68: La jeunesse européenne avec le Vietnam
  12. Mai 68 n’a pas commencé en mai, ni en mars, ni au Quartier Latin, ni à Nanterre
  13. 24 Février 68: Plate-forme commune FGDS- PCF
  14. 26 février 68: L'aéroport c'est déjà non, et au Japon
  15. 1er Mars 68: bataille romaine de Valle Giulia
  16. Mai 68: des conséquences "positives" pour 79% des Français
  17. 1968: le père De Gaulle et la tante Yvonne, ça suffit !
  18. 8 mars 68 : révolte étudiante en Pologne
  19. 11 mars 68 : les affrontements de Redon donnent le ton
  20. A retenir: le 23 Juin, colloque "Secousse et répliques de Mai-Juin 68"
  21. 15 Mars 68: Répression sauvage en Tunisie et rêverie dans Le Monde
  22. 16 mars 68: My Lai, un Oradour sur Glane perpétré au Vietnam
  23. 18 Mars 68: début du Mai sénégalais
  24. 20 mars 68: Karameh, une victoire de la Palestine 
  25. 22 mars 68: Nanterre allume la mèche
  26. 25 Mars 68 à Honfleur: "Je n'avais pas vu ça depuis 36 !"
  27. 28 mars 68: à Rio l’assassinat d’un étudiant déclenche un mouvement de masse
  28. 4 Avril 68: Martin Luther King est assassiné
  29. Alerte à Versailles: 52 % des Français veulent un nouveau mai 68
  30. Merci Jacques Higelin, esprit de 68 
  31. La grève générale de 36 et ses leçons 
  32. 11 avril 68: attentat à Berlin contre Rudi Dutschke
  33. 17 avril 68: victoire politique sur les massacres du « Mé 67 » en Guadeloupe
  34. Ludivine Bantigny - 1968 : de grands soirs en petits matins - vidéo 
  35. 25 avril 68: le mouvement prend son envol à Toulouse
  36. 29 avril 68: Shadocks contre Gibis
  37.  30 avril 68: Première Partie de la série « 1968 »: Mise en jambe

38.       1 Mai 68: la combativité ouvrière est confirmée

39.       2 Mai 68: Nanterre est fermé

40.       3 mai 68: les cinq erreurs du préfet de police Grimaud

41.        4 Mai 68: Heurts et malheurs de "Groupuscules dirigés par un anarchiste allemand"

42.       5 mai 68: un dimanche pas comme un autre

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