Crédit Agricole : des caisses verrouillées de l'intérieur
- 12 mai 2014
- Par Patrick Le Cellier
- Édition : Le monde de l'Economie Sociale et Solidaire
A Saintes, l'assemblée générale du 29 avril fut exemplaire... du pire. L'impossible a été fait pour interdire le contrôle par les 5000 sociétaires de leur société coopérative, de leur caisse locale. Preuve absolue de la nécessité d'alerter et d'imposer la transparence.
Dans un article du 30 avril, Sud-Ouest a rendu compte de cette assemblée générale de la « caisse locale de Crédit Agricole Mutuel de Saintes » (société coopérative) sous le titre « Les opposants se disent prêts à aller en justice ».
En fait, les « hommes en noir » ont interdit l'entrée du hall Mendès-France à la majorité des journalistes, aux observateurs, aux conjoints. Ce qui a conduit l'AREMUT (association pour la reconquête du mutualisme) à titrer : « Bravo à ce journaliste qui a pu entrer dans la salle. D'autres ont du rester à l'extérieur, carte de presse en main... »
Résultat du filtrage ? Un « public » limité et composé, d'abord, du ban et de l'arrière-ban des sociétaires « sûrs », proches des administrateurs ou neutralisés, spécialement mobilisés pour « faire la claque ». Même pas la claque : le décor silencieux et vaguement réprobateur.
A la tribune, une task-force : le Président de la caisse régionale et le directeur-gérant qui vont mener l'assemblée générale comme s'il s'agissait de celle de la caisse régionale... alors que celle-ci est sous le contrôle de la caisse locale. Le plus choquant étant de refuser de répondre aux questions concernant la caisse régionale.
Avec de grosses cachotteries. De très très grosses cachotteries : le 29 avril, date de l'assemblée générale de la caisse locale de Saintes, l'assemblée générale de la caisse régionale CMDS (Charente Maritime – Deux Sèvres) avait déjà eu lieu depuis trois semaines... et pas un mot !
Dissimulation totale.
Louis Tercinier avait déjà été élu au poste de vice-président de la caisse régionale... en sa qualité de président de la caisse locale de Saintes... élection que n'avait pas encore validée l'assemblée de la caisse locale ! Bouffonnerie ?
Nul écho dans la presse locale, ni dans la presse économique, de cette assemblée générale du 3 avril 2014 de la caisse régionale, la chose étant secrète, clandestine. Pour que puisse se tenir l'assemblée générale de la caisse nationale... elle-même devenue une farce pitoyable.
Qui l'a relevé ? Personne !
Sauf La lettre A (N°1636 du 01/05/2014)... La lettre de tous les pouvoirs, particulierement bien informée, a publié un article de 236 mots dans lequel sont cités Crédit Agricole SA et Louis Tercinier. Sous le titre : Saintes ébranle CASA
Extraits lisibles sur google :
"Chez Crédit agricole SA (CASA), les 39 caisses régionales ont le pouvoir (financier). Et la période des assemblées générales est propice pour le rappeler. Le processus est rodé : les caisses locales doivent tenir leur AG avant celle de leur caisse régionale, qui intervient avant celle de CASA. Mais, la caisse de Saintes a bien failli faire capoter le calendrier de la banque, en repoussant la date de son AG jusqu'au 29 avril..."
L'article parle d'un "blocage révélateur" et des "crispations" entre caisses régionales et CASA.
La seule autre mention se trouvant dans le BALO (Bulletin des annonces légales et obligatoires), Journal Officiel n°47 en date du 18 avril 2014. Convocation page 200.
Il y a mieux : la gestion du Crédit Agricole est ainsi devenue un vaste foutoir. Plus de logique, plus de morale et pas le moindre bon sens. Une banque qui se dit la première de France, gérée comme nul n'oserait piloter la poissonnerie du coin !
Concernant la « pseudo démocratie » des caisses locales, l'article de Gilles Caires, publié en 2010 par la RECMA (Revue internationale de l'économie sociale n°316) est remarquablement documenté.
Le billet du 23 avril 2014 de Michel Abhervé (ARKEA Crédit Mutuel de Bretagne : tout va bien, surtout pour les dirigeants) est lui-même parfaitement explicite. Plus intéressant, il renvoie au billet du 3 octobre 2011, du même auteur, qui avait développé le sujet.
Ma propre expérience (Crédit Agricole : une longue histoire vraie (4)) est riche d'enseignement sur la capacité des dirigeants à organiser le pire pour imposer l'omerta.
Décennies après décennies, c'est la même histoire :
- l'auto-contrôle, c'est-à-dire pas de contrôle,
- la volonté de « choisir le peuple », pour écarter les sociétaires trop curieux
- les majorités automatiques avec l'avalanche des procurations en blanc
- l'interdiction des vraies questions (des questions gênantes, des questions qui tuent) avec la trop belle organisation de l'assemblée, de la démocratie : les questions « mal-élevées » sont écartées.
La résolution proposée par l'AREMUT ? Écartée, pas soumise au vote. La candidature de Philippe Callaud ? Rejetée... et donc les administrateurs sortants réélus sans concurrence... car seuls candidats. Et pas de vote sur l'activité de la coopérative (chiffre d'affaire de ses sociétaires, base de la ristourne)...
A Saintes, les questions n'ont pas été posées. C'était l'objectif, le but de la manifestation de force, de la pantomime. Une caricature d'assemblée générale, l'illustration de la confiscation des biens des sociétaires.
Les assemblées générales d'une coopérative financière sont faites pour étudier... le fonctionnement des échanges entre les sociétaires « qui sont alternativement prêteurs et emprunteurs ». En vérité, il n'y a pas d'autre objet. Sauf la fixation du barème.
A partir du moment où l'aspect technique de la gestion a été délocalisé vers la caisse régionale, c'est sur ce sujet, sur la gestion de la caisse régionale, que doit s'exercer le contrôle.
Des sociétaires terrorisés, menacés : une effroyable opération menée par des maîtres chanteurs cyniques.
La Cour de Cassation en est venue, le 18 novembre 1997, à considérer que la question du sociétariat n'était pas pertinente pour évaluer le fonctionnement des coopératives et la qualité des contrats dans les coopératives. On ne peut pas aller plus loin dans le farfelu. En vérité, il s'agit de l'impudence des voyous de la finance. Nos ennemis à tous.
Ce qu'il faut retenir ?
Les clefs du pouvoir sont dans la boîte à malice des caisses locales... mais les dirigeants font tout pour le faire oublier, pour transformer en formalité l'acte central de la vie coopérative. Pour trahir les sociétaires.
Les clefs du pouvoir sont dans la boîte à malice... et celle-ci devrait susciter la curiosité des magistrats. Il est ahurissant - dans une société coopérative - de voir les sociétaires impuissants, réduits au silence et même menacés. Avec un leitmotiv : « les questions ne seront pas posées ».
Ajout du 18 mai :
Où est passé le rapport annuel 2013 de la caisse régionale Charente Maritime - Deux Sèvres ? Il semble introuvable. A-t-il été diffusé pour l'assemblée générale du 3 avril ? Sera-t-il disponible avant l'assemblée générale de la Caisse Nationale mercredi 21 mai ?
Le rapport 2012 est accessible.
Ajout du 23 mai :
Le syndicat CGT "Crédit Agricole Touraine Poitou" (CATP) relaie sur son site les questions qui dérangent, concernant les AG des caisses locales, et les infos "qui déménagent grave" sur les caisses verrouillées de l'intérieur (le présent article).
Sociétaires et salariés main dans la main, c'est l'évidence. Le même combat pour une finance morale, la défense des banques coopératives et de la loi du 10 septembre 1947.
Voir également le site du syndicat Sud Cam et celui de FO.
Association Autogestion est sur Facebook. Beaucoup de bonnes infos (excellence de la vigie sur le terrain) dont la reprise du billet Mediapart "des pubs qui posent question", le 3 mars, sous le titre : "Un point de vue très intéressant sur la récente campagne du Crédit agricole sur le sociétariat. Ou quelles sont les pratiques qui renient l'origine coopérative de la banque ?".
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Sur les banques coopératives (dont le Crédit Agricole), voir également sur mon blog :
- La captation des banques françaises
- Les parts sociales des banques coopératives sont-elles un (bon) placement ?
- Pubs illicites sur France-Inter
- Banques coopératives sans contrôle (au Sénat)
- Transparence
- Sérieux
- Le Hold-Up du siècle
- Gouvernance du Crédit Agricole : moralisation urgente et possible
- Une longue histoire vraie
- Une longue histoire vraie (2)
- Une longue histoire vraie (3)
- Une longue histoire vraie (4)
Et sur cette édition "Le monde de l'Economie Sociale et Solidaire" :
- Pour de vraies banques coopératives, l'église anglicane avec nous !
- Banques coopératives : les Echos avec qui ?
- Crédit Agricole : gouvernance ou hold-up ?
- Démocratie dans les banques coopératives : au Québec aussi...
- Crédit Agricole : argent fou et sociétaires rackettés
- Crédit Agricole : une pub trop loin
- Crédit Agricole et démocratie : dans le sud-ouest aussi
- Crédit Agricole et arnaques
- Crédit Agricole et contrôle par les propriétaires
- Les caisses dénaturées : au Québec aussi...
- Une banque coopérative condamnée à 774 millions d'amende pour fraude aux valeurs
- Crédit Agricole et fondamentaux
- Fagor, leurs dragons, nos démons
- Crédit Agricole : des parts sociales à prendre avec des pincettes (Capital)
- La voix des sociétaires
- Crédit Agricole : une publicité qui pose problème (UFC-Que Choisir)
- L'économie Sociale et Solidaire : un pâté d'alouette ?
- Crédit Agricole : des sociétaires généreux sans le savoir
- Natixis : banques coopératives et conflit d'intérêts
- Banques coopératives et prise illégale d'intérêts : BPCE/François Perol
- Crédit Agricole : trente milliards bientôt demandés aux sociétaires, l'escroquerie du siècle
- Crédit Agricole : les milliards des sociétaires
- Qui dirigera le Crédit Agricole, banque coopérative ?
- Crédit Agricole : des pubs qui posent question
- Crédit Agricole : privilège de la force et protection de l'armée
- Crédit Agricole et queue de poisson (à Saintes)
- Banques coopératives : tout va bien, surtout pour les dirigeants
- Crédit Agricole et questions pour une AG
Voir (depuis le 9 juin) :
Voir également :
- Michel Abhervé et Pierre Dubois - Journal du MAUSS - 23 janvier 2009 - Les banques coopératives. Du pire au meilleur pour le développement de l'économie sociale
- Philippe Fremeaux - Alternatives Economiques n°281 - juin 2009 - Banques Coopératives : qu'allaient-elles faire dans cette galère ?
- Alexandre Garabedian - L'Agefi Quotidien du 03 février 2014 : L'ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution) bouscule le modèle de gouvernance des banques coopératives
- Sam Révolte
- Que Choisir ? du 23 novembre 2013 "Crédit Agricole, une publicité qui ne dit pas tout" par Erwan Seznec
- Alternatives Economiques du 20 février 2013 "Crédit Agricole, heureusement que la banque coopérative limite les pertes de la SA" par Michel Abhervé
- L'Humanité du 12 août 2013 "Crédit Agricole, de la coopérative à la dérive" par Clotilde Mathieu
- L'Humanité du 12 août 2013 "Dans les Assemblées Générales, la démocratie, un mot dans les statuts" par Clothilde Mathieu
Ajout du 13 juillet 2014 :
Voir également :
Crédit Agricole : morale d'une trop longue histoire hélas vraie
Ajout du 15 juillet 2014 :
Les paysans suisses ont du bon sens lorsqu'ils sont écolos .
Ajout du 17 août 2014 :
Voir également (édition Inside Banking) "Du neuf à la tête de Crédit Agricole, enfin pas vraiment". Article de Magnum - 8 novembre 2009
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