12 juin 2018

Agrandissement : Illustration 1

Ce jour le 12 juin, De Gaulle salue de cette façon le remplacement du ministre de l’intérieur Fouchet par la nomination de Raymond Marcellin: « Enfin Fouché, le vrai ! ». Et il dissout plusieurs organisations politiques actives dans la révolte par le décret présidentiel du 12 juin 1968. Le texte fait référence au décret du 5 novembre 1870, et notamment à son article 2, ainsi qu'à la loi du 10 janvier 1936 modifiée « sur les groupes de combat et milices privées ». Le même jour le régime prend aussi décret d'interdiction de toute manifestation sur la voie publique pendant toute la durée des élections. Le décret du 12 juin entre immédiatement en vigueur et interdit les onze organisations suivantes:
- Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR)
- Voix ouvrière (VO),
- Groupes « Révoltes »,
- Fédération des étudiants révolutionnaires (FER),
- Comité de liaison des étudiants révolutionnaires (CLER)
- Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes (UJC (ml))
- Parti communiste internationaliste (PCI)
- Parti communiste marxiste-léniniste de France (PCMLF)
- Fédération de la jeunesse révolutionnaire
- Organisation communiste internationaliste (OCI)
- Mouvement du 22 Mars.
Le décret, rédigé à la hâte, dissout deux organisations qui n’existent pas ! Ce sont le CLER remplacé en Avril par la FER, et la Fédération de la jeunesse révolutionnaire, qui n’existe que dans la paranoïa policière.
La dissolution de l'Organisation communiste internationaliste, de la Fédération des étudiants révolutionnaires et du groupe Révoltes qui lui est liée est annulée en 1970 par le Conseil d’Etat qui juge en qu'aucun de ces groupes n'a provoqué ce qui est l’objet de la loi de 1936, soit « des manifestations armées dans la rue » ni qu'«ils aient eu pour but d'attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement ».
Le PCF confirme à cette occasion, pour ceux qui ne l'avaient pas vu à l'oeuvre, son orientation de soumission au régime bourgeois. Alors que le rapport au Comité central des 8 et 9 juillet 1968 affirme « la deuxième de nos tâches est la défense des libertés démocratiques contre les tendances autoritaires et fascistes qui vont aller en se renforçant » (L’Humanité, 10 juillet 1968), le PCF n’a pas un mot pour protester contre l’interdiction des onze organisations. Il va plus loin encore puisqu'il soutient la répression en parlant le premier des « milices armées de Geismar ».
La JCR dissoute diffuse le tract suivant

Agrandissement : Illustration 2

On peut lire aussi ici la note en vue du recours contre la dissolution du PCI, signée par Pierre Frank le 26 Juin. Certains mouvements dissous continueront leurs activités :
- -la JCR crée les cercles rouges qui fonderont avec le PCI dissout la Ligue Communiste (section française de la IVème Internationale), elle même dissoute en juin 1973 et qui deviendra la Ligue Communiste Révolutionnaire en 1974, puis principale participante de la création du NPA en 2009
- -le PCMLF persistera dans ses activités, ce qui vaudra à certains de ses militants des poursuites pour « reconstitution de ligue dissoute »
- -l'Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes éclate pour donner naissance à différents groupes, dont la Gauche prolétarienne connue notamment par son organe La Cause du peuple
- -Voix ouvrière devient Lutte ouvrière.
On peut voir ici un débat 20 ans plus tard entre Jean Pierre Vigier, directeur de recherche au CNRS et membre du PC de 1940 à 1968 et Alain Krivine, porte-parole de la LCR, accusés tous deux par l'ex-directeur de la DST en 68, Jean Rochet, d'avoir été complices d'une "organisation internationale décidée à renverser le régime".
Le décret , qui s’appuie sur la loi du 10 janvier 1936 adoptée pour lutter contre les organisations fascistes, épargne l'organisation d'extrême-droite Occident. René Capitant, ministre de la Justice, argue : « Le mouvement Occident a employé la violence, parfois, mais il ne s'est pas dévoilé comme un mouvement subversif ». C’est exact: il n’a fait que soutenir l’ordre bourgeois. Mais la raison est tout autre: la bourgeoisie, comme toujours quand sa domination est ébranlée, a tendu la main aux fascistes, notamment avec l’amnistie des dirigeants et tueurs de l’OAS. Trois jours plus tard, 50 membres de l’OAS condamnés pour terrorisme, notamment assassinats, dont les généraux Challe et Salan, amnistiés, sont libérés ou autorisés à rentrer en France pour les exilés. Sur Mai 68 et l’extrême-droite, on peut lire ici un article de Todd Shepard, directeur de recherches en histoire contemporaine à la Johns Hopkins University (USA).
Le même jour…
- La résistance acharnée oblige le pouvoir à retirer les CRS de Sochaux et de Flins et à relancer des la métallurgie.
- Mais la reprise avance. Les cours reprennent dans les lycées. Les Imprimeries de labeur reprennent ce jour (58 816 ouvriers consultés, 46 813 pour la reprise). Reprise aussi du travail aux magasins Les Galeries Lafayette (2611 voix pour , 878 contre), Le Printemps ( 3389 voix pour 1016 contre) et BHV (1681 pour, 902 contre). Ils obtiennent : 10 % d’augmentation, paiement à 50% des jours de grève et à 100 % pour les 5, 6 et 7 juin. La reprise est l’un des thèmes de ce reportage des Actualités Françaises. Au programme : les embouteillages parisiens, les manifestations pro gaullistes, la reprise du travail, la contestation étudiante,
- Le mouvement est déjà vaincu et la répression politique tourne à plein. Pourtant, le 12 juin, une dernière nuit d’émeutes connait un multiplication rapide des barricades et le lancement de cocktails Molotov sur les cafards depuis les toits.
- Uruguay : émeutes étudiantes à Montevideo. L’état de siège est décrété et les libertés publiques sont suspendues. Le mouvement des Tupamaros s’engage dans la guérilla urbaine.
**************************
Vu 50 ans plus tard...
- La pluie et des larmes - Sur certains détails de Mai 68
- Mai 68 : les audiences sont en demi-teinte… mais les affiches de l'époque s'arrachent-Les Échos
- Exposition. Mai 68, et si on parlait révolution?-L’Humanité
- Lettre d’un enfant de 1968 à un jeune de 2018 – « Il faut partir d’une exigence absolue »
- 11 juin 68: guerre de classe à Sochaux
***************************
Ma série « 1968 »
- Première partie « Mise en jambes »: 37 articles à consulter ici
- Articles déjà publiés dans La Deuxième partie couvrant Mai et Juin, « La plus grande grève générale en France »:
- 1 Mai 68: la combativité ouvrière est confirmée
- 2 Mai 68: Nanterre est fermé
- 3 mai 68: les cinq erreurs du préfet de police Grimaud
- 4 Mai 68: Heurts et malheurs de "Groupuscules dirigés par un anarchiste allemand"
- 5 mai 68: un dimanche pas comme un autre
- 6 Mai 68: « Libérez nos camarades »
- 7 mai 68: L'Assemblée nationale, l’Elysée ? Du théâtre, du cinéma !
- 8 mai 68: « L’Ouest veut vivre »
- 9 mai 68 : les travailleurs de la Wisco, premiers occupants victorieux
- 10 mai 68: « Nuit des barricades »
- 11 mai 68: Pompidou à la manoeuvre
- 12 mai 68 : joyeusetés de la parano policière
- 13 mai 68: si les étudiants ont pu, les travailleurs peuvent plus encore
- 14 mai 68: La journée d'action ne s’arrête pas comme prévu…
- 15 mai 68: Renault Cléon entre en action
- 16 mai 68: Billancourt et tout Renault basculent
- 17 mai 68: avec les cheminots, la grève générale sur les rails
- 18 mai 68: 13 000 femmes entrent en action aux Chèques Postaux
- 19 mai 68: Cannes a l’eau
- 20 mai 68: usines, bureaux et universités libérés
- 21 mai 68: ORTF et fonctionnaires dans la danse
- 22 mai 68: appel a retourner les fusils contre le régime
- 24 mai 68: Face au plébiscite, la plus longue nuit de barricades
- 25 mai 68: la « Commune » de Nantes
- 26 mai 68: Comités d’Action dans 30 cantons de l’Aveyron
- 27 mai 68: Grenelle à la poubelle
- 28 mai 68: décomposition et chantage à la guerre civile
- 29 mai 68: la fuite à Baden
- 30 mai 68: De Gaulle arme le piège électoral
- 3 Juin 68 à Belgrade: « Assez de la bourgeoisie rouge »
- 4 juin 68: « le Parti a désamorcé la bombe »
- 6 Juin 68: les matraques des CRS ne font pas sortir des voitures...
- 10 Juin 68 : A Flins, la police tue Gilles Tautin
- 11 juin 68: guerre de classe à Sochaux
La Troisième partie, « Bilans et secousses », qui comptera des dizaines d’articles, commencera le 1er Juillet.
Bonne lecture. Merci pour vos commentaires. Merci aussi de diffuser.
JAMAIS COMMÉMORER. TOUJOURS S'UNIR POUR NE PAS SUBIR !