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Billet de blog 30 mai 2018

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18 juin 68: les élections provoquent le retour à la normale

N°73 de ma série "1968" qui comptera plus de 100 articles sur l'année. Grenelle et la campagne électorale ont atteint leur objectif: les reprises du travail s'accélèrent, malgré de très fortes résistances. Prochain article: "23 juin: le piège électoral se referme"

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18 Juin 2018 

Illustration 1

Nous sommes le 18 juin 1968 à cinq jours du premier tour de la mascarade électorale. Le piège électoral a fait l'effet recherché. Les votes de reprise du travail se sont accélérés au rythme de la campagne: à partir du 18 c'est la reprise du travail dans plusieurs secteurs de la métallurgie, notamment de l’automobile (dont les usines Renault après 32 jours de grève),  le 20 ceux de Peugeot à Sochaux reprennent aussi, puis le 21 à la CSF de Brest et à la SAVIEM. L’ORTF vote le 22 juin la poursuite de la grève. Mais le reprise reprend plus vite encore après le premier tour qui a donné les résultats recherchés, la déroute d’une gauche respectueuse du régime et qui a laissé le camp du travail sans aucune perspective. Reprise le 25 aux usines Citroën, le 26 à Usinor Dunkerque, le 28 chez Berliet Vénissieux. Mais toujours avec des résistances comme le 25 juin, avec la grève qui redémarre aux Etablissements Brissonneau de Nantes et Lapeyre de Paris pour protester contre les sanctions pour fait de grève. Chez Caterpillar à Grenoble et Paris-Rhône à Lyon et à Bourgoin(Isère), la reprise du travail intervient encore plus tard. Ce n’est aussi que le 4 juillet, que les ouvriers reprennent chez SEV Marchal d’Argenteuil et aux Etablissements Boccard de Florange (Moselle).

Les patrons de la métallurgie ne veulent pas négocier plus loin que ceux de Peugeot ou de Citroën. Les syndicats font tout ce qu’ils peuvent, mais les travailleurs résistent. Exemple à Hispano-Suiza. Dès la deuxième semaine de juin, la CGT fait admettre le principe du vote à bulletin secret. Elle fait voter l’ensemble du personnel, y compris ceux qui n’ont pas participé à la grève ! Patatras: la proposition de reprise est rejetée. Les syndicalistes renvoient la discussion au niveau des sections syndicales. La CGT organise alors pour la première fois de la grève une assemblée de ses adhérents. La réunion est si houleuse que les dirigeants précédent à plusieurs votes pour obtenir un vote de reprise. A l’AG du personnel qui se tient le 17 la CGT parle de reprise du travail, mais sous certaines conditions, qu’elle abandonne dès le lendemain, en appelant en vain les travailleurs au travail. Certains rentrent dans l’usine pour continuer à occuper. La CGT fait donner l’alarme pour les inciter à évacuer et ferme les portes derrière eux.  Comme pour la reprise à Wonder, certains travailleurs pleurent. La reprise aura lieu le mercredi 19.

Illustration 2

Parfois le PC, avide des mangeoires électorales, pousse plus à la reprise que les non-grévistes, même dans des entreprises qui ont abandonné la lutte le plus tard. C'est par exemple le cas à Alstom St Ouen. Voici un extrait du témoignage d’un ouvrier (p. 30):« Ce ne sont pas les anti-grévistes qui ont poussé à la reprise ; ça a été la CGT. On devait être le 15 juin (ou environ). II n’y avait plus ni comité de grève ni quoi que ce soit seulement la CGT et nous. Un tract CGT a annoncé que le comité exécutif CGT organisait un vote pour ou contre la continuation. Vote à bulletin secret en faisant voter tout le monde évidemment grévistes et non-grévistes. On s’est engueulé sérieux, mais le vote à bulletins secrets a eu lieu massivement encadré par les « militants du syndicat ». La masse des travailleurs était venue (à peu près la moitié de l’usine). Certains militants du syndicat n’étaient pas fiers du tout...Mais à la surprise générale, la majorité était pour continuer la grève.

Même dans les conditions où c’était fait, il y avait une majorité de grévistes. On a donc continué. Mais il était évident qu’un peu partout, les usines reprenaient le travail. Le périmètre de la grève générale commençait sérieusement à rétrécir. La technique du PCF et des syndicats après les accords de Grenelle qui avait été de saucissonner la grève en autant de grèves particulières qu’il y avait d’entreprises en ouvrant des négociations usine par usine, portait ses fruits et, à mesure que chaque patron lâchait quelques bricoles, la CGT appelait reprendre.Au total, Alsthom Saint-Ouen avait été en grève cinq semaines. C’est alors le lundi 24 juin que, le moral général n’y étant plus, la CGT a appelé à cesser la grève. Cela s’est passé devant les bureaux à l’intérieur de l’usine. Là, il y avait du monde. Il n’y a pas eu de vote, rien. Seulement un discours fleuve du chef du syndicat. Quand il a eu fini sa lessive, avec le groupe de copains, je suis monté sur le perron, les staliniens ont coupé la sono ; ça gueulait contre eux en bas. J’ai donc parlé sans micro dans un silence total.

Contrairement à ce que disait la CGT, nous n’avions pas gagné la grève. Ceux qui avaient accepté le jeu électoral contre la grève générale étaient responsables de l’échec. II faudrait recommencer dans les combats à venir en tirant les leçons de ce qui venait de se passer. Et sans entrain, tout le monde est reparti vers les ateliers. »

Le retour à la normale des élections, c’est aussi, suite à l’interdiction des organisations les plus actives dans la grève générale, la répression qui s’accentue contre les militants. Exemple ici de l’arrestation d’un militant ouvrier

MAI 68 - Militant OCI - après arrestation - 22 juin 68 - Extrait du film empêché "Sauve qui peut Trotski" © jacques willemont

Le 15 Juin… 

  • Sortie du numéro un des Cahiers de Mai, dont on peut trouver ici la collection complète

Le 16 juin…

  • La Sorbonne est évacuée. Un reportage dans Les Actualités Françaises retrace les manifestations étudiantes les nuits du des 10, 11, et 12 juin; l'entraînement des "Katangais"; l'évacuation par la police du théâtre de l'Odéon, puis de la Sorbonne.
  • À Orléans, le campus universitaire est attaqué par 150 nervis d'extrême droite._

Le 18 juin…

  • La JCR dissoute et clandestine publie le N°1 de son nouveau bulletin, largement consacré à dénoncer les élections comme un des moyens, avec la répression, de rétablir l’ordre bourgeois, avec la complicité du PC http://association-radar.org/IMG/pdf/08-004-00015.pdf
  • Le travail reprend dans de nombreuses entreprises de la métallurgie, comme à Renault-Billancourt.
  • Organisation d’une table ronde au ministère de l’Éducation nationale sur les modalités des examens.

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Vu 50 ans plus tard...

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Ma série « 1968 »

- Première partie « Mise en jambes »: 37 articles à consulter ici

- Deuxième partie couvrant Mai et Juin, « La plus grande grève générale en France ». Articles déjà parus:

  1. 1 Mai 68: la combativité ouvrière est confirmée
  2. 2 Mai 68: Nanterre est fermé
  3. 3 mai 68: les cinq erreurs du préfet de police Grimaud
  4. 4 Mai 68: Heurts et malheurs de "Groupuscules dirigés par un anarchiste allemand"
  5. 5 mai 68: un dimanche pas comme un autre
  6. 6 Mai 68: « Libérez nos camarades »
  7. 7 mai 68: L'Assemblée nationale, l’Elysée ? Du théâtre, du cinéma !
  8. 8 mai 68: « L’Ouest veut vivre »
  9. 9 mai 68 : les travailleurs de la Wisco, premiers occupants victorieux
  10. 10 mai 68: « Nuit des barricades »
  11. 11 mai 68:  Pompidou à la manoeuvre 
  12. 12 mai 68 : joyeusetés de la parano policière
  13. 13 mai 68: si les étudiants ont pu, les travailleurs peuvent plus encore
  14. 14 mai 68: La journée d'action ne s’arrête pas comme prévu…
  15. 15 mai 68: Renault Cléon entre en action 
  16. 16 mai 68: Billancourt et tout Renault basculent
  17. 17 mai 68: avec les cheminots, la grève générale sur les rails
  18. 18 mai 68: 13 000 femmes entrent en action aux Chèques Postaux
  19. 19 mai 68: Cannes a l’eau
  20. 20 mai 68: usines, bureaux et universités libérés
  21. 21 mai 68: ORTF et fonctionnaires dans la danse
  22. 22 mai 68: appel a retourner les fusils contre le régime
  23. 24 mai 68: Face au plébiscite, la plus longue nuit de barricades 
  24. 25 mai 68: la « Commune » de Nantes
  25. 26 mai 68: Comités d’Action dans 30 cantons de l’Aveyron
  26. 27 mai 68: Grenelle à la poubelle 
  27. 28 mai 68: décomposition et chantage à la guerre civile
  28. 29 mai 68: la fuite à Baden
  29. 30 mai 68: De Gaulle arme le piège électoral
  30. 3 Juin 68 à Belgrade: « Assez de la bourgeoisie rouge » 
  31. 4 juin 68: « le Parti a désamorcé la bombe » 
  32. 6 Juin 68: les matraques des CRS ne font pas sortir des voitures...
  33. 10 Juin 68 : A Flins, la police tue Gilles Tautin
  34. 11 juin 68: guerre de classe à Sochaux
  35. 12 Juin 68 : De Gaulle dissout 11 organisations
  36. Mai 68, tout changer - 10 entretiens en vidéos 

La Troisième partie, « Bilans et secousses », qui comptera des dizaines d’articles, commencera le 1er Juillet.

Bonne lecture. Merci pour vos commentaires. Merci aussi de diffuser.  

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