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Billet de blog 26 juin 2018

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23 juin 68: le piège électoral se referme

N°76 de ma série "1968" qui comptera plus de 100 articles sur l'année. Les élections, outil clé avec les CRS pour démanteler la grève générale, sont vendues par le PCF comme "la deuxième chance" de faire aboutir pleinement leurs revendications. En fait, c'est un piège qui se referme dès le premier tour. Prochain article le 28 juin: "La grève générale, par Ernest Mandel".

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23 juin 2018

Illustration 1

Les politiciens de la gauche ont été surpris par la grève générale puis l'ont bradée pour la convocation d’élections anticipées. Ils ne sont pas tous ignorants ou naïfs. La plupart savent très bien que jamais nulle part les élections n’ont arraché le pouvoir à une classe dominante, ni même permis les principales conquêtes, que la journée de 8h après la première guerre mondiale, c’est pas les élections, mais les mobilisations ouvrières d’après-guerre, et que les conquêtes de 36, les congés payés et de la semaine des 40 h, n’étaient pas dans le programme du Front Populaire, mais lui ont été imposées par la grève générale. 

Illustration 2

Leur objectif premier n’est pas de défendre au mieux le camp du travail, c’est d’abord leur carrière professionnelle, la course vers les mangeoires de la république. Les dirigeants de la FGDS et du PCF ont donc quelque espoir de placer leurs amis au Palais Bourbon. Certains sont encore plus ambitieux. Sous la IVème république, les politiciens de la SFIO ont savouré tous les ans les privilèges du pouvoir. Ceux du PCF sont restés sur leur faim, ne bénéficiant que de courtes années. Or aux dernières élections, en 1967, les gaullistes n’ont conservé leur majorité au Parlement et donc le pouvoir que grâce aux centristes et à la fraude habituelle dans les départements d’Outre-mer. Certains politiciens de la gauche nourrissent donc l’espoir du retour aux affaires. 

Illustration 3

Qu’ils y croient ou non, la conquête du pouvoir par les élections est l’argument qu’ils utilisent pour détricoter la grève générale. Depuis l’annonce d’élections anticipées par de Gaulle le 30 mai, et qu’ils se battent par tous les moyens pour la reprise, le PCF et la CGT ne cessent d’invoquer la " deuxième chance " des travailleurs. Un Parlement et un gouvernement d’union de la gauche, corrigeraient facilement les imperfections des accords tant critiqués par les travailleurs en grève. C’est un argument de plus en faveur de la reprise. L’Humanité du 6 juin, par exemple, explique que les " victoires " des travailleurs n’ont rien d’assuré, que « tout n’est pas réglé. Personne ne le contredira... Mais, en ayant, avec les autres grévistes, obligé le gouvernement à recourir à des élections, [les cheminots] se sont ménagé une nouvelle chance de voir garanti ce qu’ils viennent d’obtenir par la lutte. Cette deuxième chance ne doit pas être compromise " expliquant même. Les élections, c’est l’occasion, d’imposer les revendications abandonnées à Grenelle, que ce soit la suppression des ordonnances dénoncée par foule de pétitions et manifestation pendant un an, le salaire minimum de 1000 exigé dans les grandes entreprises, l’échelle mobile des salaires, la suppression du salaire au poste, ou la réduction des cadences. L’Union des étudiants communistes (UEC) reprend l’argument en affirmant que les élections des 23 et 30 juin sont une façon de « barrer la route à la dictature gaulliste » et d’instaurer une « démocratie véritable ». Le SNESup estime que « les élections sont une étape dans la lutte contre le gaullisme et la réaction » (Le Monde du 27 juin). Le PSU voit dans les élections l’occasion d’expliquer les mobiles du mouvement et les « objectifs du mouvement socialiste ».

Les élections législatives ont beaucoup aidé le régime et les politiciens à démanteler la grève générale, mais pas à satisfaire leur soif de pouvoir. Le premier tour consacre en effet la victoire électorale des partis de la majorité: 58,84 % des voix contre 40,82 %. La gauche parlementaire a reculé de 2,3 % par rapport aux élections précédentes de 1967. La majorité présidentielle recueille 46 % des suffrages, soit un gain de 5 %, et dispose de 144 élus dès le 1er tour. 
Les acteurs du mouvement de Mai placés à gauche du PCF développent une perspective différente. Un tract du 1er juin de la Coordination des comités d’action résume assez bien la position en titrant: « Élections cadeau empoisonné », rappelant que le mouvement s’est développé en dehors du Parlement et partout que« le pouvoir n’est pas dans les urnes, qu’il se prend dans les usines ». Les affiches fleurissent qui affirment « Le vote ne change rien, la lutte continue ».

Illustration 4

La Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR) préconise, face à des élections qualifiées de « bidon », de déposer le bulletin nul ci-contre, expliquant que dans tous les cas de figure, qu'il n’y aura pas prise de pouvoir des travailleurs.

Vidéos de la campagne du premier tour

Meeting du PC au Palais des sports © Ina Politique
Waldeck Rochet © Ina Politique
Marie Claude Vaillant Couturier © Ina Politique
Guy Mollet © Ina Politique
Marie Madeleine Dienesch © Ina Politique
Jacques Duhamel © Ina Politique
Michel Rocard : campagne électorale 1968 | Archive INa © Ina Politique

Le 21 juin…

  • Reprise des derniers métallurgistes. La direction de Citroën, comme celle de Peugeot, veut s’en tenir au contenu de Grenelle et joue le pourrissement de la grève. Mais ce jour, la CGT défend un accord à Javel. De jeunes ouvriers manifestent avec des pancartes pour la poursuite. La CGT décide qu’il n’y a pas le quorum et reporte le vote au 24, donc après la déroute électorale et démoralisation du 23. La reprise a lieu le 25. 

Le 22 juin…

  • Manifestation de solidarité avec les organisations dissoutes organisée au Luxembourg et au Japon par les Zengakuren Affrontements violents à la Faculté de médecine de BordeauxVidéo de sur l’arrestation ce jour d’un militant ouvrier de l’imprimerie SIDI https://vimeo.com/99449000

Le 23 juin...

  • Reprise du travail à l'ORTF

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50 ans plus tard...

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Ma série « 1968 »

- Première partie « Mise en jambes »: 37 articles à consulter ici

- Deuxième partie couvrant Mai et Juin, « La plus grande grève générale en France ». Articles déjà parus:

  1. 1 Mai 68: la combativité ouvrière est confirmée
  2. 2 Mai 68: Nanterre est fermé
  3. 3 mai 68: les cinq erreurs du préfet de police Grimaud
  4. 4 Mai 68: Heurts et malheurs de "Groupuscules dirigés par un anarchiste allemand"
  5. 5 mai 68: un dimanche pas comme un autre
  6. 6 Mai 68: « Libérez nos camarades »
  7. 7 mai 68: L'Assemblée nationale, l’Elysée ? Du théâtre, du cinéma !
  8. 8 mai 68: « L’Ouest veut vivre »
  9. 9 mai 68 : les travailleurs de la Wisco, premiers occupants victorieux
  10. 10 mai 68: « Nuit des barricades »
  11. 11 mai 68:  Pompidou à la manoeuvre 
  12. 12 mai 68 : joyeusetés de la parano policière
  13. 13 mai 68: si les étudiants ont pu, les travailleurs peuvent plus encore
  14. 14 mai 68: La journée d'action ne s’arrête pas comme prévu…
  15. 15 mai 68: Renault Cléon entre en action 
  16. 16 mai 68: Billancourt et tout Renault basculent
  17. 17 mai 68: avec les cheminots, la grève générale sur les rails
  18. 18 mai 68: 13 000 femmes entrent en action aux Chèques Postaux
  19. 19 mai 68: Cannes a l’eau
  20. 20 mai 68: usines, bureaux et universités libérés
  21. 21 mai 68: ORTF et fonctionnaires dans la danse
  22. 22 mai 68: appel a retourner les fusils contre le régime
  23. 24 mai 68: Face au plébiscite, la plus longue nuit de barricades 
  24. 25 mai 68: la « Commune » de Nantes
  25. 26 mai 68: Comités d’Action dans 30 cantons de l’Aveyron
  26. 27 mai 68: Grenelle à la poubelle 
  27. 28 mai 68: décomposition et chantage à la guerre civile
  28. 29 mai 68: la fuite à Baden
  29. 30 mai 68: De Gaulle arme le piège électoral
  30. 3 Juin 68 à Belgrade: « Assez de la bourgeoisie rouge » 
  31. 4 juin 68: « le Parti a désamorcé la bombe » 
  32. 6 Juin 68: les matraques des CRS ne font pas sortir des voitures...
  33. 10 Juin 68 : A Flins, la police tue Gilles Tautin
  34. 11 juin 68: guerre de classe à Sochaux
  35. 12 Juin 68 : De Gaulle dissout 11 organisations
  36. Mai 68, tout changer - 10 entretiens en vidéos 
  37. 18 juin 68: les élections provoquent le retour à la normale
  38. Parler du mai ouvrier, un enjeu politique actuel

La Troisième partie, « Bilans et secousses », qui comptera des dizaines d’articles, commencera le 1er Juillet.

Bonne lecture. Merci pour vos commentaires. Merci aussi de diffuser.  

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